Belle mécanique
À Chêne-Bourg (GE), dans un secteur en mutation, Nomos architectes vient de livrer un bâtiment de bureaux et d’activités qui cache son jeu : surtout, ne pas se fier à l’apparente banalité de sa façade...
On peut passer devant sans le voir, en tout cas sans lui prêter attention. Le dernier bâtiment de bureaux et d’activités livré par Nomos architectes se fond dans le décor de ce coin de Chêne-Bourg en mutation, reconfiguré depuis 2019 par la gare du CEVA. Là cohabitent deux colosses de verre – la tour Opale et les bâtiments de Rolex – et les derniers vestiges de la zone d’activité, bâtiments bas à fenêtres bandeaux en attente d’être remplacés par un quartier mixte à dominante résidentielle (PLQ de la Mousse, le long de la voie verte). À la jonction de ces deux mondes, le bâtiment de Nomos cultive une neutralité tout industrielle, intemporelle, qui le rend quasi invisible au premier coup d’œil.
Mutation
L’immeuble s’installe à l’emplacement d’une ancienne imprimerie, qui abritait aussi les bureaux du groupe Médecine et Hygiène, les éditions Zoé et une entreprise de ressorts industriels. La coopérative propriétaire a d’abord mandaté Nomos pour étudier les possibilités de surélévation du bâtiment existant, qui s’est révélé inapte à supporter toute charge supplémentaire, même la construction modulaire en bois imaginée par les architectes.
Nomos propose alors de construire un nouvel immeuble de quatre niveaux en lieu et place d’une partie des locaux existants. Le bâtiment est dimensionné dès le départ (structures, gaines) pour accueillir trois ou quatre étages de plus en cas de besoin. L’extension est finalement décidée en cours de chantier pour répondre à la demande des artisans du quartier délogés par le PLQ mais souhaitant rester sur place. Trois niveaux sont donc construits en retrait du premier volume, dégageant une grande terrasse.
Aujourd’hui, l’immeuble de sept niveaux accueille au rez-de-chaussée un artisan chocolatier, un sertisseur, un constructeur de machines de production et, dans les étages, des bureaux, dont ceux de Nomos.
Faux semblants
D’apparence discrète, l’architecture de Nomos superpose deux parallélépipèdes aux tonalités de gris clair en bas, foncé en haut –, structurés par la modularité des panneaux et des fenêtres en bandeau. Le caractère industriel est renforcé par l’aspect poli et quasi métallique des façades: des panneaux en fibre ciment en contre-cœur sur les quatre premiers niveaux et des panneaux photovoltaïques dans les derniers étages.
Dans le détail, l’ensemble n’est pourtant pas si lisse. L’inclinaison légère des panneaux, celle plus franche des pare-soleil (des volets roulants en tissu), allège et anime les façades à la manière de petites ailettes. Des décalages viennent aussi troubler la lecture : les plaques débordent légèrement des angles, exposant leur finesse et leur fragilité ; d’une face à l’autre du bâtiment, les planchers semblent changer de niveau, quand ce sont en réalité les modules métalliques des fenêtres qui sont décalés en hauteur. Dernière surprise, pas la moindre : la robe industrielle dissimule une structure en bois, réminiscence des premières études sur une possible surélévation du bâtiment existant. À l’heure où les matériaux bio- et géosourcés sont souvent mis en scène comme gages d’une architecture environnementalement vertueuse, Nomos choisit de ne pas montrer le bois – qu’il faut entretenir et protéger lorsqu’il est exposé – et lui préfère une façade rideau en modules métalliques accrochée sur la structure ligneuse.
Autour d’un noyau béton intégrant une cage d’escalier, deux gaines et deux ascenseurs, la structure à doubles poutres dégage des plateaux libres de près de 600 m2, simplement ponctués de deux piliers, tandis que les porteurs sont reportés en façade.
Technique apparente
Nomos a conçu un bâtiment performant et efficace, qui doit répondre aux besoins de ses locataires (bureaux comme activités), durer dans le temps, être réparable facilement et économe en matière (« le bon matériau au bon endroit »).
Tout est ainsi assemblé, en évitant au maximum la colle, le silicone et les soudures pour privilégier les vis ou autres éléments qui peuvent être réparés et remplacés. De même toute la technique est apparente, à l’intérieur comme à l’extérieur, autant pour la compréhension des mécanismes que pour l’esthétique et l’accessibilité. « On n’enferme rien, on ne masque rien », revendique Lucas Camponovo, associé de Nomos.
Fonctionnelle, adaptable, c’est une machine robuste qui ne s’interdit pas d’être belle. Car pour tout laisser apparent, il faut tout dessiner, depuis les gaines au plafond qui traversent les bureaux jusqu’aux angles extérieurs des bâtiments où cohabitent les réseaux. Joie du détail !
Confort intérieur
À l’intérieur, les espaces communs surjouent l’esthétique industrielle : béton brut pour les murs, escalier central en acier galvanisé troué pour la légèreté («les mêmes que ceux du CEVA»), relevés par le rouge des portes, des radiateurs et des bancs. Mais sur les plateaux, Nomos cherche le contraste avec l’enveloppe froide et neutre du bâtiment. Couleurs et matières distribuées par touches réchauffent les vastes espaces de travail qui restent d’une grande sobriété.
Les cloisons séparatives sont réalisées en blocs de terre compressée stabilisée Terrapad (Terrabloc). Posés en alternance sur la panneresse à chaque rangée et maçonnés avec de la colle à l’argile permettant des joints fins, ils confèrent aux murs une certaine massivité tout en jouant sur les effets de lignes. Ce choix de matériau contribue à renforcer l’inertie de l’infrastructure légère en bois et modules métalliques. Des briques silico-calcaires parent les murs pignons. Des parois en bois colorées voisinent avec des cloisons de verre récupérées tandis qu’au plafond courent les double poutres en bois lamellécollé, pré-percées pour permettre le libre passage des chemins de câbles et des conduits de ventilation.
Avec ce bâtiment où se mêlent efficacité constructive, fonctionnalité, maintenance, beauté des matières, Nomos fait une fois de plus la démonstration que l’architecture est un jeu, sérieux certes, mais joyeux et inventif, où l’esthétique n’est jamais bradée. Et que ce jeu, loin d’être réservé aux projets de logements, peut (et doit !) se pratiquer aussi dans des contextes tertiaires et industriels.
Construction d’un bâtiment de bureaux et activités, Chêne-Bourg (GE)
Maître d’ouvrage : Coopérative Médecine et Hygiène
Architecture : Nomos architectes
Ingénierie : Ingeni
Réalisation : Études, 2019 ; démolition, juin 2022 ; livraison, septembre 2024
Coût CFC 1-5 (y. c. honoraires) : 13.6 mio CHF TTC