Domestiquer le bureau, mode d’emploi
MEP Avenue des Morgines, Petit-Lancy (GE), Axa
À Lancy, un projet de reconversion et surélévation d’un immeuble de bureau a généré un engagement d’une rare intensité, des autorités, des maîtres d’ouvrages et des mandataires. Ce cas soulève inévitablement la question de l’investissement que nous souhaitons engager pour atteindre l’exemplarité. Immersion dans les coulisses d’un concours hors du commun.
La reconversion de bureaux en logement progresse à Genève, enfin. Après la livraison de l’immeuble Normandie, reconverti en logement par Brauen Wälchli, Axa livre les résultats de mandats d’études parallèles (MEP, SIA 143) particulièrement ambitieux. Il s’agissait de reconvertir et surélever l’imposant immeuble de bureau qui oriente sa façade miroitante sur l’avenue des Morgines, au Petit-Lancy. Le résultat offrira quelque 200 logements, dans un quartier essentiellement résidentiel.
Initialement, la valorisation de cette parcelle passait par la case démolition-reconstruction. L’édifice, construit dans les années 1980, offre en effet peu de flexibilité, n’est pas protégé et consomme énormément d’énergie – en grande partie en raison de sa façade rideau en verres collés, conçue sans ouvrants ni protection solaire extérieure. Or, ce vaisseau amiral de la culture d’entreprise genevoise mérite une certaine attention, qu’on l’aime ou non. Rien que l’énergie déployée jadis pour le réaliser légitime les efforts à consentir aujourd’hui. Axa a donc mené un long dialogue avec la Ville de Lancy et le Canton pour trouver une solution aboutissant à cette procédure organisée avec les autorités (et leurs représentants au sein du collège d’experts). Considérant qu’en cet emplacement, l’immeuble pourrait contribuer utilement à la création de nouveaux logements, il est proposé de le reconvertir et de le surélever de deux étages et d’un attique.
Réemploi en place
Le programme conçu avec urbaplan est rempli de recommandations sur la durabilité et les normes ESG. Il demande de «considérer avec attention et soin tout ce qui est déjà en place». Il s’agira donc de maintenir la structure, mais aussi de réemployer sur place les éléments de façades, ces sombres miroirs, lisses et opaques – symboles s’il en est du capitalisme d’entreprise. Ils sont exactement à l’opposé de ce qu’une façade domestique, une architecture communautaire, demande: ouverture, relief, ambiance chaleureuse… Comment domestiquer ce vaisseau spatial des années 1980?
Sur ce sujet des façades, les six équipes invitées vont s'ingénier à trouver des solutions. La palme revient à Lacroix+Chessex, qui, après avoir retourné le problème dans tous les sens, fait une découverte intéressante: la longueur de trois vitrages tournés à 90° est pratiquement égale à celle de deux éléments laissés en place. Il suffit d'épaissir les joints de quelques millimètres pour composer deux nouveaux étages de façade en puisant la ressource dans les étages impairs. Nomos se prend également au jeu du réemploi en place, au point, dira Katrien Vertenten, que «cette fascination nous a empêchés de voir au-delà». LRS l’emporte… en regardant au-delà, et en ajoutant des ailettes à ce paquebot. Les proportions de l’édifice changent avec la surélévation, explique Alain Robbe (LRS); il paraissait donc justifié de mordre légèrement sur le périmètre d’implantation pour ajouter des extensions. Un concours de ce niveau doit prendre en compte ce type de pas de côté – surtout si cela aboutit à un plan d’une telle qualité: fluide, organique et très rationnel (quatre appartements – six aux extrémités – desservis par des cages d’escalier qui pourront être maintenues en place).
Investissement et apprentissages
«Je dois reconnaître qu’à certains moments des présentations et des exposés des expert·es, j’ai eu personnellement le sentiment de vivre une forme de post-formation», écrit le président du jury, Bruno Marchand, en introduction du rapport remis par le Collège d'experts. Cela indique la nouveauté des sujets abordés, mais aussi le degré d'investissement des équipes en lice.
Quand un investisseur privé organise un concours de haut niveau, quand il s’agit de la reconversion d’un immeuble de bureau en logements, on devrait s’en féliciter. Même quand c’est dur. Dans ce cas, les architectes retenus au second tour m'ont indiqué d'emblée qu'ils ne calculaient pas les heures investies. «Ça nous mettrait le blues», confie Lucas Camponovo (Nomos). Mais avec 65’000CHF de défraiement, il estime que «pour un MEP, on était correctement rémunéré.» Surtout, il s’est senti respecté par un maître d’ouvrage qui les a pris au sérieux et s’est particulièrement investi. Simon Chessex (Lacroix+Chessex), lui, l’a tout de même fait. Après déduction des frais de production des images de synthèse, des tirages et de la maquette, les honoraires ne sont pas bien élevés. Le cahier des charges était-il trop exigeant ou les architectes se sont-ils heurtés à leurs propres exigences?
La compétition semble d’autant plus cruelle quand des projets atteignent un tel niveau. Aujourd’hui, on souhaite reconvertir les grands immeubles de bureau en conservant le maximum, un sujet encore mal connu qui implique un investissement. Dès lors, la véritable question qui doit être discutée est la bonne et de la juste répartition de cet effort, entre maîtrise d’ouvrage, administrations publiques et mandataires. A-t-on trouvé la bonne formule ? Quand Swiss Prime Site aborde un sujet similaire, il mandate au gré à gré une agence (FdMP, immeuble «Le Bouchet») – mais pour atteindre l’exemplarité, la procédure exige des architectes de réaliser quatre variantes de projets pour décider en bonne conscience. Quand la Ville de Genève organise des procédures complexes, elle opte pour le concours ouvert, en deux degrés. Résultat: un incalculable cumul d’heures, mais de jeunes bureaux qui peuvent entrer en lice – et parfois gagner.
Des idées à réemployer
Dans le cas de l’avenue des Morgines, Monica Ferrandiz (Axa Investment Managers), tient à préciser que le choix d’une procédure sélective (six puis trois équipes retenues au second degré) visait aussi à limiter le nombre d’agences engagées dans le processus. Les deux tours (trois mois puis trois mois et demi) étaient entrecoupés d’une pause permettant aux spécialistes de procéder à leurs analyses. Quant à la maquette, elle n’était pas exigée – même si, dans le cas présent, elle a probablement joué son rôle pour convaincre le jury. Enfin, pour parvenir à ce résultat, il y a énormément de travail en amont de la procédure, au sein des administrations du Canton et de la Ville de Lancy, de l’organisateur de la procédure (urbaplan), des experts et enfin de la maîtrise d’ouvrage.
Certes, l’investisseur y gagne, car les projets rendus au second tour sont d’une telle précision qu’ils peuvent pratiquement servir d’avant-projet. En contrepartie, dira-t-on, l’investissement fourni ici profitera à l’ensemble du secteur: les planches, publiées sur espazium Competitions sont librement accessibles et les solutions envisagées en inspireront d’autres… Le réemploi des idées, espérons, diminuera à l’avenir les coûts de ces grandes opérations de reconversion.
Madat d'études parallèles (Selon règlement SIA 143)
Reconversion et surélévation des bâtiments administratifs en logements à Lancy (GE)
Maître d'ouvrage: Axa Investment Managers
Tous le résultats et rapport du jury sur Competitions.espazium.ch