Emer­ging As­sem­bla­ges: sen­tir le ch­an­ge­ment

Pavillon du Kosovo

Le pavillon de la république du Kosovo offre une exposition troublante et poétique qui fait appel à l’un de nos sens les plus primitifs pour aborder la question du changement climatique: l’odorat.

Publikationsdatum
04-06-2025

C’est une salle plongée dans l’obscurité qui attend le visiteur. Dans un repli de l’Arsenal, le «pavillon» du Kosovo est une simple pièce au sol en terre battue. Au centre, de longs tubes translucides descendent du plafond et forment un cercle. Suivant un rythme précis, des capsules odorantes sont libérées dans l’atmosphère, révélées visuellement par des filets de fumée blanche s’échappant par intermittence des cylindres. Chorégraphie d’odeurs qui raconte des ruptures climatiques: le gel tardif, l’absence de neige, la grêle soudaine, les beaux jours qui n’en finissent pas de mourir. Ici, on ne parle pas vraiment d’architecture, mais d’espace, de temps, de saisons.

Mémoire olfactive

Pour réaliser cette installation intitulée Emerging assemblages, l’architecte Ezrë Dinarama est d’abord allée interroger des fermiers kosovars sur le rapport qu’ils entretiennent au changement climatique. Dans les champs de l’est de l’Europe, les cultures traditionnelles (poivre, pommes, camomille) laissent peu à peu la place à de nouvelles variétés, sous la pression d’un cycle des saisons de plus en plus erratique. Pour la curatrice, le travail physique, intuitif, de celles et ceux qui cultivent la terre, est de plus en plus remplacé par des machines. À force, peut-être que ce savoir logé au creux de la chair disparaîtra. Alors Dinarama a voulu décrypter comment l’on sait, physiquement, que la grêle arrive, que les récoltes vont être abattues. Les témoignages recueillis sonnent comme des poèmes.1

Forte de ces descriptions, l’architecte a collaboré avec l’artiste et chercheuse Sissel Tolaas, qui développe depuis une trentaine d’années une «archive olfactive» composée de plus de 7000 fragrances. Ensemble, à partir des rapports faits par les agriculteurs kosovars et de la base de données de Tolaas, elles ont développé les douze parfums libérés par l’installation du pavillon, qui agissent comme un calendrier relationnel.

Dans cette Biennale technocentrée, Emerging Assemblages fait à la fois figure de bon élève et d’avocat du diable. Dénoncer un savoir de plus en plus désincarné tout en confiant une mémoire olfactive à une machine; l’ironie est belle.

Note

 

1. Extrait du booklet de l’exposition Emerging Assemblages :

« Odeur: précurseure: quiétude
Sentie: 10.06.2022
Racontée: 17.03.2025
Avant la grêle, il y a une profonde quiétude / Humidité de l’air / Chute de pression / Respiration plus difficile / Quand la grêle est sur le point de tomber, l’odeur du sol est comme après la pluie, à peine plus faible / La grêle refroidit le sol. Contrairement à la pluie, qui réchauffe le sol / Elle refroidit aussi l’air. Odeur de glace / Il n’y a jamais eu de grêle à Lipjan auparavant. Nous avons commencé notre activité agricole ici parce que, historiquement, il n’y avait pas de grêle. Maintenant, elle frappe tous les deux ans. »


Smell: precursor : stillness
Sensed: 10.06.2022
Told: 17.03.2025
Before the hail, there’s a deepl stillness / Air humidity / Pressure drop / Harder to breathe / When the hail is about to hit, the smell of soil is like after rain, just a little fainter / The hail cools the soil. Unlike rain, which warms the soil / Cools the air as well. Smell of ice / There was never hail in Lipjan before. We started our agricultural activity here because, historically, there was no hail. Now, it happens every two year.